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À la découverte de quelques jardins de l'Ardèche

Avec un climat contrasté, une terre qui n’est pas considérée comme étant partout des plus fertile et une économie qui n’a pas toujours été florissante, l’Ardèche ne bénéficie pas, a priori, des conditions les plus favorables à la création de jardins. Il n’en reste pas moins que ce département recèle des trésors d’autant plus admirables qu’ils se sont développés dans ces conditions difficiles. Des  jardins qui révèlent le génie dont l’homme sait pouvoir faire preuve pour surmonter des environnements défavorables. Peut-être aussi témoignent-ils des conseils donnés dès le XVIème par Olivier de Serres (1539-1619), un célèbre agronome ardéchois dont les oeuvres ont conditionné le développement de l’agriculture et accessoirement des jardins. Hommage lui est rendu à Mirabel près d’Aubenas (Ardèche) où il s’était installé.

Aux sources de l’agronomie

Sur son domaine, ce seigneur huguenot conduisit des expérimentations qui nourriront son monumental (près de 1 500 pages) « Théâtre d’Agriculture et Mesnage des Champs »  qui en fit l’un des pères fondateurs de l’agronomie. Pour lui, le rôle premier du jardin est nourricier. Mais l’agronome s’intéresse aussi à son esthétique. Son jardin idéal s’inspire à la fois de ceux de l’Antiquité et de ceux du Moyen Age. Il en fait une synthèse avec des volumes préfigurant les jardins à la française.

A l’issue de fouilles archéologiques et grâce à la mobilisation de l’association « Institut Olivier de Serres », les jardins de l’agronome ont été restitués sous la houlette de la DRAC Rhône-Alpes et du ministère de l’Agriculture. Complétée par un espace muséal, cette restitution fait comprendre l’ingénieux système hydraulique qui alimentait le jardin du seigneur du Pradel. Il comprenait, selon ses préceptes, quatre parties bien délimitées par des bordures végétales : le jardin bouquetier, le potager, le médicinal et le fruitier. Une visite s’impose dans ce village du Vivarais pour rendre hommage à cet agronome sans lequel l’horticulture et l’art des jardins n’auraient pas les bases théoriques qui leur sont indispensables.

Parmi les bijoux que recèle l’Ardèche : « La Terre Pimprenelle ». Un jardin qui s’est installé à Alboussières, sur le plateau de Crussol, dans le Vivarais, entre Valence et Lamastre… Le concepteur n’est ni architecte paysagiste, ni jardinier professionnel, ni horticulteur. Raphaël Benedetti est un passionné qui a mis la barre très haut. Non seulement il a dû faire face à la difficulté d’une terre pauvre balayée par les vents, notamment en hiver par la terrible burle, mais il s’est lancé le défi de concevoir un jardin structuré selon de complexes notions philosophiques et mathématiques.

Un jardin structuré selon le nombre d’or

Arboretum et jardin botanique, c’est aussi un jardin mystique où le yin et le yang, l’esprit zen et l’alchimie jouent une étonnante symphonie. Structuré selon la suite Fibonacci et le nombre d’or (ellipses, spirales, triangles…), le jardin surnommé « Terre Pimprenelle » comprend différents éléments (arbres, arbustes, vivaces, pierres…) qui sont répartis d’une manière telle qu’ils créent un espace harmonieux d’énergies positives, voire de « synergies d’énergies », où le minéral, qui raconte l’histoire de la terre, et le végétal, qui s’en nourrit, entretiennent des liens étroits. Les arbres sont tous plantés les uns par rapport aux autres. Le ginkgo est présent dans chaque partie du jardin : le rôle de cet arbre sacré qui est l’un des plus anciens représentants du règne végétal sur terre, est de veiller au bon équilibre de l’ensemble, de partager sa sagesse acquise au fil de 300 millions d’années.

L’une des raisons pour lesquelles on est interpellé en découvrant ce jardin est que, comme le constate souvent les visiteurs, rien ne laisse présager la présence d’un jardin en un lieu au caractère dominant très rural. Pourtant, il s’intègre parfaitement au paysage. Par quel tour de magie ? Parce que comme son environnement, le jardin est rythmé par des « variations multiples » explique Raphaël Benedetti : variations des plantes qui existent dans l’alentour sous leur forme type ; variations de relief qui reprennent celles du paysage ; variations d’éléments de décoration minérale (monolithes, dalles, galets) représentatifs des roches composant le sous-sol. On ne sort pas « indemne » d’un tel jardin : Terre Pimprenelle est la preuve tangible qu’avec de la passion, l’homme est capable de réalisations titanesques, la preuve aussi que, comme l’assure Raphaël Benedetti « le jardin est peut-être le seul art qui saisit l’équilibre entre le corps et l’esprit ». Quoi qu’il en soit, ce jardin est désormais labellisé : la DRAC Rhône-Alpes lui a octroyé en 2012 la qualité de « Jardin remarquable » (1); et le Conservatoire des collections végétales spécialisées (CCVS) a référencé la collection de ginkgos de Terre Pimprenelle.

Largentière, la roseraie de Berty, merveille du monde de la rose

Ce n’est pas un jardin caché mais un jardin qui se mérite. Pour aller à la roseraie de Berty, il faut emprunter une petite route s’élevant au-dessus de Largentière. Au terme de quelques virages serrés dans les bois, un paradis des roses s’offre au visiteur au creux d’un vallon verdoyant,. Conçue et réalisée en 1985 par Eléonore Cruse, agricultrice et auteur de livres sur les roses, la roseraie de Berty est bien plus qu’un jardin « remarquable », c’est une des sept merveilles du monde de la rose. L’impression dominante est la liberté qui leur a été laissée pour s’épanouir de façon souvent exubérante. Pas d’engrais, pas de produits phytosanitaires, simplement « la montée des roses vers le ciel lumineux » comme dit cette poète « rosomane » . Le jardin d’Eléonore Cruse est bien sûr un sanctuaire des roses anciennes (700 variétés telles ‘Beau Narcisse’, ‘Romarin’, ‘Edmond Proust’, ‘City of York’) mais les modernes devenues des classiques y ont toute leur place : ainsi la moderne et sombre ‘Sénégal’ de Charles Mallerin flirte-t-elle avec l’ancienne ‘Devoniensis’ au blanc crémeux. La passion d’Eléonore Cruse l’a conduite à se lancer dans d’autres roseraies, notamment celle des « Pommiers » à Ruoms. Sur la terre riche d’un ancien verger, elle a procédé au mariage de fruitiers et de rosiers anciens et botaniques comme l’extraordinaire ‘Eddie’s Jewel’ qui a lui seul, avec ses grandes fleurs corail, vaut le déplacement. Mariage réussi de la pomme et du cynorhodon, démontrant « la propension naturelle du rosier à s’associer avec les autres plantes. »

Buis et lavande

Cette visite des principaux jardins de l’Ardèche serait incomplète sans un tour à Gourdan, à Roiffieux, à Saint-Remèze et à Privas pour sa « rue-jardin » (2).

A Saint-Clair, à 5km au nord d’Annonay, un superbe château du XVIIIème, le château de Gourdan qui est mis en valeur par un ravissant jardin à la française avec rosiers, lauriers et orangers à l’intérieur de broderies de buis vénérables où trônent des statues touchantes de patine. Le cadre et la vue sont superbes. Une visite dans l’orangerie monumentale s’impose.

A Roiffieux, au sud d’Annonay le jardin de Brogieux, créé à la fin du XVIIIème par l’ancêtre des actuels propriétaires (10ème génération !) qui introduisit le mûrier « cocon beau blanc » dans la région d’Annonay. Il planta aussi un beau cèdre de l’Atlas qui domine toujours l’ancien potager (tracé selon les plans de La Quintinie), reconverti en jardin à la française d’une grande légèreté. On admirera notamment de superbes topiaires et haies de buis plantées précisément en 1772 – des documents en attestent ! –  de même qu’un if de Chine (cefala taxus fortunei) planté en 1798 ; des agrumes dans des poteries d’Anduze patinées par les siècles. D’une terrasse du jardin, partit l’une des premières montgolfières car les propriétaires étaient des amis des Montgolfier.

A côté du petit village de Saint-Remèze, sur la route des gorges de l’Ardèche, entre Bidon et Vallon-Pont-d’Arc, ne pas manquer un musée, que la commune a dédié à la lavande, un hommage aussi parfumé que mérité. On y trouve plusieurs variétés et l’on apprend à ne pas confondre la lavande aspic, la lavande « fine » et le lavandin. A noter aussi un sentier botanique présentant un échantillonnage fourni de la végétation méditerranéenne puisqu’il est jalonné de genêt-scorpion, de chèvrefeuille étrusque, de baguenaudier et du charmant « petit miroir de Vénus »…

PIERRICK EBERHARD

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