L’Almanach, le premier succès populaire de l’édition

Si le mot provient du syriaque Al Manar qui désigne à la fois l’avenir et le lendemain, le latin médiéval le désignait sous le nom d’almanachus, avant de devenir tout simplement almanach. Au lendemain de l’invention de l’imprimerie par Gutenberg (en 1438 à Strasbourg) et immédiatement après la Bible et les ouvrages pieux, ce sont les almanachs qui font la fortune des libraires et imprimeurs.

Dès la fin du XVe siècle, les almanachs deviennent très populaires. On en trouve de toutes sortes, mais ils ont en commun de publier des calendriers avec pour chaque jour, le nom du saint à honorer, avec les phases de la lune, la longueur des jours, les évènements astronomiques, les variations du temps et bien souvent aussi ce qui a de tout temps fait rêver les hommes, des prédictions astrologiques.

Très rapidement les éditeurs d’almanachs vont également y ajouter des évènements extraordinaires qui se sont déroulés au cours de l’année précédente, et des conseils inspirés par les savoir-faire traditionnels. Le succès des almanachs et surtout l’intérêt pour les prédictions était tel qu’au milieu du XVIe siècle, le roi Charles IX impose aux éditeurs de faire approuver par l’archevêque du lieu le contenu de l’almanach avant publication. Ses successeurs confirment l’ordonnance y ajoutant l’obligation d’avoir la permission du roi.

La Révolution française en modifiant le calendrier, trouble provisoirement la vie des almanachs.

C’est ainsi qu’en 1794 l’Almanach de la Raison publie le nouveau calendrier pour « la 1re année républicaine » en commençant par Vendémiaire : « le premier mois au signe des vendanges » avec des noms de jours changés : « Primdi, déodi, tridi » au lieu de lundi, mardi, mercredi, avec aussi la précision qui ne manque pas de sel … révolutionnaire bien sûr : le 1er de ce mois répond au 22 septembre de « l’ère des esclaves » (sic). On y trouve également dans un abrégé de catéchisme de Politique et de morale pour l’Instruction Républicaine (avec I et R majuscules) quelques propos bien en harmonie avec l’époque.

Ainsi parmi les vertus que doit pratiquer un bon républicain : « Il doit surveiller attentivement les ennemis de notre liberté et ne pas craindre de dénoncer les conspirateurs, parce que son silence le rendrait aussi coupable qu’eux. Il doit aussi ne jamais oublier que les rois sont des antropophages, leurs familles des animaux carnassiers, et féroces ; que l’honneur des nobles a toujours été d’être des assassins, des orgueilleux, et des voleurs ; que l’honneur des prêtres a toujours été de tromper, corrompre et gruger les peuples… ».

En 1795 l’almanach des gens de Bien commence par le mois de janvier et publie en parallèle le calendrier romain et le calendrier républicain… Au fil des années le calendrier romain reprend son rythme.

En 1795 l’almanach des gens de Bien commence par le mois de janvier et publie en parallèle le calendrier romain et le calendrier républicain… Au fil des années le calendrier romain reprend son rythme.

À noter qu’en 1811, l’almanach historique nomme le Messager Boiteux édité à Colmar par Antoine Souci, astrologue et historien, consacre presque la moitié de son édition à évoquer les temps forts de l’année écoulée.

Et quelques conseils savoureux comme ce remède contre la fièvre : « on prend le blanc de trois œufs, le mêle avec du sucre et le délaie avec de l’eau tiède. Cette émulsion se prend immédiatement avant l’accès. On peut répéter ce remède s’il n’opère pas la première fois, jusqu’à deux et trois fois … »

Ou encore ce moyen de conserver la santé des bêtes à cornes : il consiste en « une livre de graines de genièvre et autant de sel commun mêlés ensemble. On en donne journellement ou au moins trois fois par semaine, une demi-cuillérée ou une cuillerée entière à ces animaux. En été on le donne aux vaches à lait et autres qui vont pâturer, en boules pétries avec du levain. Les bêtes à cornes prennent en peu de temps, tant de goût pour ce remède domestique et le prennent volontiers… ».

Cette information de la plus haute importance est aussitôt suivie (sans transition) de la narration du mariage de S.M. l’Empereur Napoléon avec Marie-Louise archiduchesse d’Autriche, dans la chapelle du Louvre, avec une illustration, un dessin au trait et imprimé tel quel où l’on voit les époux devant l’autel et la cour qui assistent à la cérémonie. Le Messager Boiteux publie aussi la liste des foires de France, d’Allemagne, de Suisse, de Savoie, du Haut-Rhin, du Bas-Rhin, de Bourgogne et de Lorraine.

Dès le début du XIXe siècle, le succès des almanachs est tel qu’en augmentant leur pagination qui double, voire triple les éditeurs l’affichent dans leur titre en les appelant « double, ou triple… ».

Depuis 1835, le DOUBLE MILAN édité par le Père Benoît s’est fait sa place sur le plan régional en restant fidèle à la tradition rurale et jardinière.

En 1841 l’almanach général des villes et des campagnes publié par la direction de la revue des comices, met comme son nom l’indique l’accent sur les comices agricoles et toutes les institutions agronomiques, avec des « recettes économiques et hygiéniques » contre les foulures, pour soigner les coupures « avec une compresse imbibée d’eau et de… vin » et tous les travaux mensuels du cultivateur.

En 1848 l’Almanach des Travailleurs et des communistes, est lui nettement plus politique. Edité par Louis Blanc au prix de 25 centimes.

En 1851 l’almanach des vrais socialistes coûte 50 centimes. Il explique, de son côté, « que le vrai socialiste, c’est Jésus-Christ expirant sur la croix pour racheter le genre humain ; Louis XVI prêt à monter sur l’échafaud et recommandant à son fils, de pardonner à ses bourreaux comme il leur a pardonné lui-même… Que le faux socialiste c’est notamment Louis Blanc proférant le serment d’Annibal contre la société, dans son désespoir de n’avoir pu la mordre qu’au talon. » Suit une très longue liste de 73 œuvres de charité, assurées par des institutions ecclésiales, dont l’œuvre de la propagation de la foi « fondée en 1822 à Lyon qui compte plus de 700 000 membres ».

En 1885, l’almanach de Victor Hugo, avec en page 3 un beau portrait de l’écrivain qui lui est entièrement consacré et est édité par Calmann Lévy.

En 1886 naît l’almanach Vermot, fondé par Joseph Vermot, à l’immuable couverture rouge, qui va se faire une réputation en publiant un calembour ou une blague par jour.

En 1898 l’almanach du Bibliophile promeut la beauté appliquée aux livres et « pour que tous les livres soient de goût ».

On le voit le mot almanach recouvre déjà une large palette de publications.

Le XXe siècle sera une autre histoire.

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